Enquête : L’Or Noir en Périr. Madagascar Lance un Plan d’Urgence pour Sauver sa Vanille
L’or noir de Madagascar est sous une pression existentielle. La filière vanille, réputée pour sa qualité quasi-monopolistique et pilier de l’économie malgache, fait face à un effondrement de marché d’une ampleur inédite.
Face à une surproduction mondiale qui inonde le marché et à l’émergence d’une concurrence féroce sur les réseaux sociaux, le gouvernement malgache a annoncé début novembre 2025 un plan de sauvetage de 18 mois. L’enjeu est critique : sauver une filière premium de la faillite après la dissolution de son propre organe de régulation, le Conseil National de la Vanille (CNV). Pour analyser cette crise, nous avons consulté Arnaud Sion, spécialiste de la filière et fondateur du Comptoir de Toamasina et co-fondateur de Abaçai.
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Radiographie d’une Crise : L’Océan de Vanille
Le cœur du problème est une surproduction mondiale massive. Selon les rapports de l’industrie, le marché est littéralement « inondé ». Alors que la demande mondiale oscille entre 2 500 et 3 000 tonnes, l’offre disponible en 2025 pourrait dépasser les 6 000 tonnes. Le marché est assis sur plus de deux ans et demi de stocks.
Madagascar et l’Ouganda, les deux plus grands producteurs, continuent d’alimenter ce surplus. La récolte malgache de 2025, estimée à elle seule à plus de 3 000 tonnes, s’ajoute à un volume substantiel d’invendus des années précédentes, que Madagascar interdit pourtant à la vente.
Cette situation a été dangereusement masquée en 2024 par des chiffres d’exportation records (plus de 4 000 tonnes). L’analyse révèle qu’il ne s’agissait pas d’une explosion de la demande, mais d’une opération de « stockage stratégique » des grands acheteurs industriels. Profitant de l’effondrement des prix, ils ont acheté massivement pour sécuriser leurs approvisionnements sur plusieurs années. La conséquence est un carnet de commandes vide pour 2025.
L’Effondrement des Prix dans la SAVA
Le prix de cette saturation est payé par les producteurs. À l’ouverture de la campagne 2025, les producteurs de la région SAVA (le cœur de la vanille) espéraient 100 000 ariary (environ 20 €) pour la vanille verte.
La réalité est un effondrement total : 46 000 ariary dans la région Diana, et des lots négociés à 20 000 ariary (environ 4 €) dans la SAVA. Des rapports font même état de prix tombés à 7 000 ariary/kg (1,50 $). Ces chiffres, bien en deçà du seuil de rentabilité, représentent un désastre humanitaire et économique.
| Période | Prix Plancher Export Officiel (USD/kg) | Prix de Marché Réel (USD/kg) | Prix Producteur (Vert, Ariary/kg) |
| 2021-2022 | 250 $ | ~250$ | 75 000 Ar |
| 2023-2024 | 250 $(non respecté) | 40$ | 46 000 Ar |
| 2025 | N/A (abandonné) | < 40 $(vieux stocks à 30$) | 20 000 Ar (voire 7 000) |
L’Échec de la Régulation : Le « Mur des 250 $ »
Le plan de relance de novembre 2025 est une réponse directe à l’échec de la politique de régulation précédente. Sous l’impulsion de l’ancien ministre Edgard Razafindravahy, un prix minimum à l’export de 250 $/kg et un prix plancher pour la vanille verte (75 000 Ar/kg en 2022) avaient été instaurés.
Cette politique interventionniste, gérée par le Conseil National de la Vanille (CNV), a permis de collecter une « cagnotte » de plus de 104 milliards d’ariary (via une taxe de 4 $/kg à l’export).
Cependant, ce « prix politique » était totalement déconnecté de la surproduction mondiale. Dénoncé comme « arbitraire » par les acheteurs internationaux, notamment américains, ils ont exercé une pression maximale en arrêtant leurs achats. Acculé, le gouvernement a dû céder. La « libéralisation » forcée de 2023-2024 a acté l’abandon du prix plancher, et le marché s’est immédiatement effondré à 40 $. La dissolution du CNV est l’aveu de cet échec : la politique de prix plancher a créé une distorsion massive, bloqué les ventes et pénalisé les exportateurs respectueux des règles.
Le Nouveau Plan de Relance : Un Pari sur la Transparence
Face à ce constat, le gouvernement du Premier ministre Herintsalama Rajaonarivelo tente une « refondation » complète en 18 mois.
La mesure phare est la dissolution du CNV, désormais perçu comme le cœur du problème en raison de la « lenteur des procédures » et du « manque de transparence ». Cette décision s’accompagne de mesures structurelles :
- Un audit global de la filière pour assainir la situation.
- Un guichet unique pour « simplifier les démarches administratives ».
- Une « libéralisation » des procédures d’exportation.
L’objectif est de « restaurer la force de la vanille malgache ». Mais le plan est déjà le théâtre d’une lutte d’influence. Des rumeurs persistantes font état de pressions pour réduire drastiquement le nombre d’agréments d’exportation de 123 à « une vingtaine ». Le « guichet unique » deviendrait alors l’outil d’un nouveau cartel cherchant à écouler ses stocks en limitant la concurrence.
Enquête : La « Guerre de la Vanille » fait rage en France
Cette crise interne se métastase sur les marchés d’exportation, notamment en France, où une nouvelle forme de concurrence menace les fondations de la filière.
L’invasion des vendeurs TikTok
L’océan de 6 000 tonnes de vanille a créé un marché de bas de gamme. Des vendeurs opportunistes inondent le marché français via des plateformes comme TikTok, pratiquant une « concurrence déloyale ». Ils opèrent « sans numéro fiscal » ou sans entreprise déclarée.
L’exemple est accablant : des lots de gousses de vanille vendus à moins de 120 euros du kilo. C’est un prix impossible à tenir sans une absence totale de charges, de contrôles qualité, et sans aucun retour de valeur pour Madagascar. Ces vendeurs écoulent précisément les « vieux stocks » issus de la surproduction. Il s’agit de produits de qualité inférieure (secs, faible teneur en vanilline, qualité TK), que le consommateur est incapable de distinguer d’une vanille « Gourmet ».
Les spécialistes français au bord de l’asphyxie
Les premières victimes sont les « acteurs historiques de la vanille en France ». Arnaud Sion, créateur du Comptoir de Toamasina et spécialiste reconnu, témoigne d’une baisse de 90 % de son activité « normale » (via les moteurs de recherche).
« Aujourd’hui, avec l’arrivée de l’IA, il est difficile de distinguer un site d’expert d’un site non spécialiste généré par IA. En outre, la HCU [Helpful Content Update] de septembre 2023 de Google a détruit le web ouvert et nos articles », explique-t-il.
Il attribue cette chute à la concurrence déloyale sur TikTok et aux changements d’algorithmes de Google. Cette concurrence est prédatrice : elle cible les entreprises établies qui paient des impôts, respectent la réglementation et maintiennent un standard de qualité.
L’Avenir : Un Écosystème sous Pression
Le marché de la vanille est cyclique. La crise actuelle, avec ses prix dérisoires, entraînera inévitablement une démotivation des planteurs et une réduction de la production. Une pénurie est inéluctable d’ici quelques années, provoquant une « hausse forte » des prix.
Lorsque cette hausse surviendra, les vendeurs de TikTok auront disparu. Seuls les « acteurs historiques » resteront. Ce sont eux qui se porteront au secours de la filière malgache en acceptant de payer le prix fort. En laissant ses partenaires les plus fiables se faire « détruire » en France, Madagascar perd ses alliés de demain.
De plus, Madagascar est prise en tenaille : un tarif douanier américain de 10 % handicape sa compétitivité, tandis que l’Ouganda et l’Indonésie inondent le marché avec de la vanille bon marché (35 $/kg pour l’Ouganda).
Analyse : Le plan de 18 mois est-il viable?
Le succès du plan de « refondation » dépendra de sa capacité à résoudre ses contradictions. Le « guichet unique » et « l’audit global » mèneront-ils à une vraie transparence ou à un nouveau cartel ?
Pour survivre, la filière doit :
- Prioriser les alliances stratégiques : Le gouvernement malgache doit reconnaître que sa filière ne survivra pas sans ses « acteurs historiques » sur les marchés finaux, comme la France.
- Segmenter pour défendre la qualité : La seule façon de lutter contre la concurrence de l’Ouganda et les « vieux stocks » de TikTok est d’appliquer une traçabilité stricte et de promouvoir activement la qualité « Bourbon » comme un produit premium.
- Soutenir les planteurs : Les 104 milliards d’ariary de la « cagnotte » du CNV doivent être réinjectés pour soutenir directement les planteurs qui survivent avec 20 000 Ar/kg.
- Responsabiliser les plateformes : Il est urgent d’exiger des plateformes (TikTok, etc.) et des autorités françaises qu’elles luttent contre la concurrence « sans numéro fiscal ». Une traçabilité par lot est nécessaire.
Sans une défense agressive de la qualité et un soutien à ses partenaires historiques, l’or noir de Madagascar risque de perdre sa valeur, laissant les producteurs dans la misère et les consommateurs avec un produit de basse qualité.

